Conflits agriculteurs-éleveurs : Sur les pistes de transhumance de l’axe Fadji-Kompienga

Publié le jeudi 23 août 2018 à 17h56min

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Conflits agriculteurs-éleveurs : Sur les pistes de transhumance de l’axe Fadji-Kompienga

Que de morts chaque année dans les conflits qui opposent agriculteurs et éleveurs ! Les épisodes sanglants se multiplient, malgré les mesures prises au lendemain de chaque drame. Zone agricole mais aussi d’élevage, la région de l’Est n’est pas à l’abri de tels conflits. Du 14 au 16 juillet 2018, sur l’axe Fadji-Kompienga, nous étions en « transhumance ». Bienvenue dans les zones de pâturage, sur les pistes de la transhumance.

En cette période d’hivernage, les conflits entre agriculteurs et éleveurs ne manquent pas dans certaines contrées du Burkina en général, et dans la région de l’Est en particulier. De Fadji, un hameau de culture dans la province du Gourma, à la Kompienga, les difficultés des acteurs sur le terrain sont légion.
Pour Boubacar Maïga, coordonnateur du Réseau de la communication sur le pastoralisme (RECOPA) de la région de l’Est, la sécurisation d’une zone de pâture se fait à la demande du village, d’un groupe de villages ou d’une collectivité. Les demandes peuvent concerner l’accompagnement à sécuriser une zone de pâture ou un couloir de transhumance.

À l’issue de cette demande, « nous allons sur le terrain et effectuons un diagnostic qui permet d’identifier le couloir de transhumance, les acteurs avec lesquels il faut travailler. C’est sur la base du diagnostic que se fait la planification des négociations, pour aboutir à la mise en place des infrastructures (pistes à bétail, couloirs de transhumance, points d’eau, etc.) », explique Boubakar Maïga.

C’est tout un processus qui inclut, par la suite, la création d’un comité de négociations au niveau local ; lequel comité regroupe les représentants des éleveurs, des agriculteurs, de la chefferie coutumière dans une ou plusieurs localités, avec également l’implication des conseillers et les Comités villageois de développement (CVD).

« Pendant les négociations, et à chaque fois qu’il y a un accord, un procès-verbal, qu’on appelle accord social, est signé. Ainsi, la personne s’engage à libérer la zone et à accompagner le processus. Cet accord social est le document qui nous permet d’avancer vers une autre étape, qu’on appelle un forum de validation des accords sociaux qui est officié par le maire de la commune concernée, en présence des représentants des différents villages concernés pour la validation », a poursuivi le coordonnateur du Réseau de la communication sur le pastoralisme.

Boubakar Maïga précise par ailleurs que le représentant de chaque village lève la main en signe d’approbation de la nouvelle piste rurale et, ce, en présence des autorités (maire, préfet ou son représentant), des différents services techniques, les chefs coutumiers concernés. Un procès-verbal est alors dressé pour acter le forum de validation des accords sociaux.

Les démarches post-forum

De ses explications, il ressort qu’au forum succède la sortie de reconnaissance officielle avec les collectivités, les services techniques, pour toucher du doigt l’infrastructure, visiter ses limites, etc. À l’issue de cette visite, un procès-verbal sur les reconnaissances est signé. Par la suite, une entreprise est recrutée sur la base du document pour poser les balises qui vont matérialiser les limites de l’infrastructure. « Mais après, nous procédons à la mise en place d’un comité de gestion qui reçoit un certain nombre d’outils qui vont leur permettre d’assurer la surveillance… », a-t-il conclu.

Malgré cette précaution dans la mise en place des zones de pâture, les conflits entre agriculteurs et éleveurs ne manquent pas dans la région. À Fadji, où il existe une aire de repos pour animaux et une zone de pâture, la réalité sur le terrain n’est pas toujours reluisante, selon El hadj Abdoulaye Boly, personne-ressource auprès des éleveurs. « Ici à Fadji, nous rencontrons un certain nombre de difficultés, notamment l’insuffisance d’eau pour l’abreuvage des animaux et des populations qui y vivent, malgré la réalisation d’un forage, par RECOPA, qui est d’ailleurs géré par un comité. Sur l’aire de repos que vous voyez, chaque vendredi, les animaux transitent par-là pour la commercialisation ou la transhumance et notre propre bétail n’a pas accès à l’eau ce jour. Il faut que les autorités se penchent sincèrement sur la question afin de nous soulager », a-t-il déploré. El Hadj Abdoulaye Boly a, toutefois, précisé que les relations avec les agriculteurs sont « quand-même acceptables ».

Après Fadji, une escale à Yamba a permis de constater ce qui a été fait. Pour Moumouni Sondé Rouga, berger, grâce au RECOPA, les éleveurs disposent d’un magasin d’aliments à bétail. Il note cependant que la difficulté majeure est le manque de stocks. « Nous avons un marché à bétail, mais il faut que les collectivités nous aident pour la bonne gestion de ces infrastructures.
Nous avons beaucoup d’animaux qui sont en transhumance et les éleveurs préfèrent y rester, malgré les agressions et les conflits qu’ils rencontrent dans ces zones de transhumance », a-t-il fait savoir. Concernant les agriculteurs, il a expliqué que « ce n’est pas facile ».
« Nous essayons de faire de notre mieux pour ne pas se manquer, mais les provocations existent chaque fois », regrette-t-il.

Des pistes illégalement occupées

Cap sur la Kompienga, le 16 juillet 2018. Là, le constat est amer. En effet, la plus grande piste à bétail, une piste internationale, qui taverse la Kompienga, zone frontalière de deux pays côtiers (Togo et Bénin) jusqu’au Sahel en passant par les provinces du Gourma et de la Gnagna, a été obstruée par des champs et des populations qui y enlèvent (creusent) de la terre pour vendre. Cette piste a connu quelques modifications, notamment la déviation au niveau du commissariat de police et du lycée départemental Lumière de Kompienga.

Mardja Namoano, agriculteur sur la piste, a indiqué que c’est par manque d’espace qu’il cultive sur la piste « juste pour survivre ». Et de renchérir que les animaux, de passage, broutent ses cultures. Cependant, il reconnaît qu’il occupe illégalement une piste à bétail. Salam Kaboré, cet autre résidant de la localité depuis 20 ans et père de 30 enfants, admet également que son champ a obstrué la piste. Il précise, à cet effet, qu’il n’a pas d’autres alternatives, car pratiquant une agriculture de subsistance.

Selon Salif Sawadogo, correspondant de RECOPA dans la province de la Kompienga et membre du comité de gestion du marché à bétail, entre un champ et une piste à bétail, il faut, en principe, 150 mètres, hors agglomération. « Quand nous constatons que des gens sont en train d’obstruer la piste, nous le signalons à l’autorité compétente, car nous-mêmes n’arrivons plus à les contrôler. Je puis vous dire que c’est la police, elle-même, qui les surveille actuellement », note-t-il.

Salif Sawadogo suggère la prise de mesures plus fortes, parce que le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur malgré les sensibilisations du RECOPA et celles des services des ressources animales. « Il faut appliquer les textes avec vigueur et rigueur », a-t-il insisté.

Pour sa part, Seydou Barry, un berger, qui intervient dans les pays frontaliers, notamment le Togo et le Bénin, estime qu’il faut des actions concrètes et fortes de la part de l’État pour libérer les zones de pâture illégalement occupées et pour lutter contre le phénomène d’obstruction des pistes.

« Ce que vivent nos transhumants dans les pays côtiers n’est pas du tout simple. Chaque fois, je suis tenu d’aller dans des zones de pâturage des pays côtiers pour gérer des crises entre nos éleveurs en transhumance et des agriculteurs. Dans les pays côtiers, l’application des textes sur le terrain est claire et nette », a expliqué Seydou Barry.

Soumaila Sana
Lefaso.net

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