Mariage d’enfants dans la région de l’Est : Un phénomène qui perdure sous le poids de la tradition

Publié le lundi 16 septembre 2019 à 12h12min

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Mariage d’enfants dans la région de l’Est : Un phénomène qui perdure sous le poids de la tradition

Fruit de dispositions socioculturelles, de contraintes ou d’un arrangement forcé, le mariage d’enfants est un véritable fléau qui sévit dans la région de l’Est du Burkina. Selon les données de la direction provinciale de la femme, de la solidarité nationale et de la famille du Gourma, la région enregistrait déjà au titre du premier semestre de l’année 2019, 287 cas de mariage d’enfants. Constat dans une région qui affiche le deuxième taux de prévalence de mariage d’enfants au plan national.

Il y a cinq ans de cela, Victorine, originaire du village d’Ipingo, a été donnée en mariage à l’un des frères de sa belle-sœur, lors d’une visite dans le village de Nangré. Agée à l’époque de 14 ans, cette orpheline de père a été en réalité échangée contre l’épouse de son frère ainé. Contrainte d’épouser un homme qui devait être choisi parmi les frères de sa belle-sœur, l’adolescente a pris la fuite après un séjour de trois jours dans le village d’Ipelcé. Rejetée par son frère devenu chef du village de Nangré, Victorine confie que sa fuite a eu pour conséquence, la répudiation de sa mère.

Bannie elle-même de la famille, elle vit désormais dans un centre d’accueil géré par les religieuses. « J’ai fui la maison une nuit. Ce que j’ai vécu, je ne le souhaite à personne. Imaginez que je rencontre maintenant un homme qui veuille m’épouser, auprès de quel parent va-t-il entreprendre les démarches ? », s’interroge-t-elle. Comme elle, Marie, originaire de la province Gayeri, n’a plus de contact avec sa famille. En juillet 2019, cette fille de 17 ans, en troisième année de couture, a été donnée en mariage à un homme sans son consentement.

Ne connaissant pas son futur époux, Marie a préféré quitter le village. Interpellé par les services de l’Action sociale, son père aurait confirmé les faits, mais a tout de même coupé les liens avec sa fille. Elle vit désormais dans un centre d’accueil à Fada où elle poursuit sa formation en couture. En effet, une fois épargnées de ce phénomène, les filles qui se retrouvent souvent abandonnées, bénéficient d’un soutien psychologique, social et économique des services de l’action sociale.

Marcelline a été mariée en classe de CM2

L’histoire de Marcelline est un peu similaire à celle de Marie et de Victorine. Promise en mariage par son défunt père en classe de CM2, Marcelline vivait chez son oncle avant d’être obligée de rejoindre le foyer d’un homme déjà marié à deux femmes dans le village de Matiakoali. En effet, faute de moyens financiers, la jeune fille de 16 ans a dû abandonner ses études en classe de CM2 pour rejoindre son futur époux.

Mais après six jours passés avec son conjoint, la nouvelle mariée a pris la fuite pour se rendre à la gendarmerie. « C’était vraiment dur pour moi. Il n’arrivait même pas à subvenir aux besoins de ses deux femmes et des enfants. La première femme à elle seule avait 5 enfants », raconte la jeune fille, aujourd’hui âgée de 18 ans.

Serge Gaétan Combary, directeur provincial de femme, de la solidarité nationale et de la famille du Gourma

Le peu que l’on puisse dire, c’est que le phénomène du mariage d’enfants a la peau dure dans la région de l’Est. Selon Serge Gaétan Combary, directeur provincial de la femme, de la solidarité nationale et de la famille du Gourma, la région de l’Est affiche le deuxième taux de prévalence de mariage d’enfants après la région du Sahel au plan national. En 2017, dit-il, la région a enregistré 331 cas de mariage d’enfants ; 391 cas en 2018 et déjà, 287 cas au titre du premier semestre de l’année 2019.

« Ce n’est que la face visible de l’iceberg. Il y a une prévalence assez élevée du mariage d’enfants dans la région. Certaines données ne nous parviennent pas parce que le phénomène est souvent étouffé quand le mariage se fait entre les familles », a indiqué le directeur provincial de la femme, soulignant que la région fait face à une forme particulière de mariage d’enfants, le rapt, qui consiste à l’enlèvement de la fille et sa persécution.

Malgré les condamnations…

Inoussa Kafando, substitut du procureur près le Tribunal de grande instance de Fada

Inoussa Kafando, substitut du procureur près le Tribunal de grande instance de Fada, soutiendra qu’il y a nécessité d’agir pour mettre fin à cette pratique qui constitue une violation des droits de la femme. En 2016, relève-t-il, le parquet du TGI de Fada a pris connaissance de 11 cas d’enlèvements de mineurs, de rapts et de mariage d’enfants dont 9 condamnations, 25 cas dont 15 condamnations en 2017, 11 cas dont 7 condamnations en 2018 et 11 faits au titre de l’année 2019 . Malgré des condamnations pouvant aller de six mois à 10 ans pour dissuader les mis en cause, ces derniers retombent souvent dans les mêmes délits.

A ce sujet, le coordonnateur du projet Consensus communautaire pour mettre fin au mariage d’enfants, à l’excision et aux violences faites aux enfants dans la région de l’Est, Julien Ouédraogo, indique qu’il est assez complexe de cerner le phénomène du rapt. « Le rapt est culturel et parfois, lorsque nous interpellons des gens qui font cette pratique, il arrive que des leaders du village et même des intellectuels nous demandent de ne pas envoyer l’affaire en justice parce que c’est un fait culturel », a-t-il témoigné. Puis de renchérir : « Parfois, ce sont les parents eux-mêmes qui demandent à la belle famille d’organiser l’enlèvement de la fille qui leur a été promise et parfois, si la fille sent qu’elle est menacée et qu’elle n’est pas consentante, elle peut à son tour organiser son propre enlèvement avec un autre homme ».

Abdoulaye Yaméogo, médecin chef du district sanitaire de Fada

En effet, dans une société gardienne de ses traditions, Serge Gaétan Combary affirme que la pratique du mariage d’enfants est très préoccupante dans la région. « C’est un fait de société. Il y a eu des cas où on a interpellé les ravisseurs et au cours de l’entretien, ils nous ont demandé ce qu’ils avaient fait de mal parce qu’ils estiment que c’est normal. Le phénomène est encore ancré au sein de la population. Souvent, la fille est déjà promise à un homme dès sa naissance », a-t-il noté. En outre, poursuit-il, d’autres raisons, telles que la pauvreté au sein des familles et le faible niveau d’éducation poussent les familles dans ce piège. Un piège, qui n’est pas sans conséquences pour les filles au plan sanitaire.

Abdoulaye Yaméogo, médecin chef du district sanitaire de Fada, évoque une compromission de l’avenir obstétrical de la jeune fille. « Quand vous vous retrouvez avec des filles de 12, 13, 14 ans qui sont obligées d’avoir une vie sexuelle dans le foyer, elles sont confrontées à des problèmes sur le plan sanitaire, notamment leur capacité à procréer », a-t-il constaté. Et ce qui est déplorable, dit-il, « c’est qu’on prépare psychologiquement la fille à accepter cette situation. Pourtant, ce sont des filles traumatisées qui se retrouvent avec des lésions génitales ».

Vers un changement de mentalités ?

Julien Ouédraogo, coordonnateur du projet Consensus communautaire pour mettre fin au mariage d’enfants, à l’excision et aux violences faites aux enfants dans la région de l’Est

Du côté de la direction provinciale de la femme, l’on soutient que le phénomène est décrié ces dernières années. « Nous recevons des plaintes et avec les sensibilisations que nous menons, les gens connaissent les voies de recours quand ils sont confrontés à des cas de mariage de mineurs », indique le chargé des affaires sociales, Serge Gaétan Combary. Dans la même veine, Julien Ouédraogo, coordonnateur du projet Consensus communautaire pour mettre fin au mariage d’enfants, à l’excision et aux violences faites aux enfants dans la région de l’Est, souligne qu’après près d’une année de mise en œuvre dudit projet qui couvre essentiellement les provinces du Gourma et de la Tapoa, des progrès ont été enregistrés.

« Nous recevons constamment des appels de leaders de communautés, des enseignants et des bénéficiaires directs, notamment les adolescents », confie-t-il, soulignant que la dernière dénonciation dans la commune de Kantchari a permis de secourir six filles victimes de mariage.

Au Burkina, selon les données de l’UNICEF, une fille sur deux (52%) est mariée avant l’âge de 18 ans et une sur 10 (10%) avant l’âge de 15 ans. D’où la campagne de sensibilisation sur l’accélération de l’abandon du mariage d’enfants« Ne m’appelez pas madame ». Au titre des activités de cette campagne lancée en mars 2019, figure la présente caravane de presse, co-organisée par le Réseau Initatives des journalistes africains pour la coopération et le développement (IJACOD) et l’UNICEF.

Nicole Ouédraogo
Lefaso.net

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